La guerre a commencé quand j’étais hébergé par un membre de ma famille, dans son village, après l’assassinat du président (Habyarimana). C’est le matin-même qu’un ami de mon parent l’a informé que le jet du président avait été abattu.
Comme mon parent allait partir au travail, pendant qu’il ouvrait la grille, il a rencontré un barrage, mais ils ne lui ont pas fait de mal. Il a continué à travailler comme d’habitude, mais tous les gens étaient effrayés et ils ne savaient quoi faire. Les autorités du gouvernement avaient commencé à rédiger des listes ds gens qui devaient être tués et mon parent y figurait.
Cette nuit, tous les voisins ont quitté leurs maisons et ils sont allés se cacher, mais la femme de mon parent a refusé en disant que nous ne pouvions pas quitter son mari parce qu’il ne saurait pas où nous retrouver, donc nous avons attendu son retour. Mon parent est rentré vers dix-neuf heures, pour constater précisément que les voisins étaient partis, tous sauf la famille d’un des voisins parce qu’elle était Hutu. Une autre famille, celle d’un vieil homme dont le fils s’était marié avec ma soeur était restée aussi. Les voisins sont venus espionner pour voir si nous étions toujours là.
Mon parent nous a dit que nous ne devions pas nous inquiéter, que personne n’allait nous tuer et il a demandé à la domestique de nous préparer à manger. Mais beaucoup de gens étaient allés se cacher dans l’église de la province et dans le stade. Vers minuit, nous avons entendu des balles et des tirs; les gens qui étaient allés au stade ont tous été tués. Mon parent et le vieil homme dont le fils s’était marié avec ma soeur patrouillaient durant la nuit, pour nous protéger, mais juste après le tir, ils se sont rendus compte que les choses étaient devenues trop dangereuses pour nous et ils ont alors considéré d’autres stratégies pour s’enfuir de la région.
Le matin, mon parent a dit à son chauffeur de m’emmener dans un autre village avec mon frère parce que c’était là où était ma mère. En route, nous avons trouvé une femme sur qui on avait tiré; elle avait le corps couvert de sang. Elle nous a dit que les gens à Kigali mouraient pratiquement tous parce que les Hutus tuaient beaucoup de Tutsis. Il n’y avait rien d’autre que nous puissions faire à ce moment-là donc nous avons continué directement vers le village où la tuerie des Tutsis par les Hutus n’avait pas encore commencé.
Après une semaine, mon parent et sa famille sont venus à cet endroit pour être avec nous, simplement parce que la situation devenait terrible pour eux. C’est un samedi qu’ils sont venus pour rester avec nous. La station radio RLTM encourageait les Hutus à massacrer les Tutsis mais, dans cette région, les Tutsis étaient majoritaires donc ils se sont organisés pour combattre les Hutus qui venaient nous tuer. Ce processus a continué jusqu’à l’époque où les Tutsis ont subi une défaite parce que l’interhamwe avait beaucoup de munitions et d’armes, mais les Tutsis n’avaient que des lances et de flèches.
Un groupe interhamwe est venu dans la région voisine et les Tutsis se sont rendus compte que le groupe était beaucoup plus fort qu’eux et qu’ils n’avaient pas d’autre espoir que de s’en aller. Par conséquent, nous avons été dispersés et les gens avec qui j’étais sont allés dans un quartier environnant. L’interhamwe a brûlé les maisons et a pillé beaucoup de propriétés y compris des vaches, des chèvres et beaucoup plus. L’interhamwe disait au début que les femmes et les jeunes filles ne seraient pas tuées et qu’ils ne voulaient que les hommes et les garçons vigoureux, bien que nous ayons très vite appris qu’ils mentaient.

Ma mère nous a dit de rentrer avec toutes mes soeurs parce que mon frère avait été capturé. C’est un vendredi soir, je ne me rappelle plus bien de la date, qu’un groupe d’interhamwe est venu chez nous pour tous nous tuer. Ma mère leur a donné des biens pour qu’ils ne nous tuent pas. Heureusement, ils sont partis. Plus tard, est arrivé un autre groupe de la milice, dirigée par un homme qui s’appelait Jeremiah, qui était notre ami avant la guerre, même s’il était Hutu. Quand ma mère lui a dit ce qui était arrivé aux gens qui étaient venus et qui lui avaient pris des biens, il a demandé: qui sont-ils? Alors ma mère lui a dit qu’ils s’appelaient les Abaziraguhunga de Nyacyoma.
Ensuite, Jeremiah est allé rendre tout ce qu’ils avaient pris parce qu’ils avaient peur de Jeremiah. Vendredi soir, un groupe d’interhamwe est revenu, a frappé à la porte et ma mère leur a demandé qui ils étaient. Ils ont insisté pour qu’elle ouvre la porte. Elle a refusé et a beaucoup crié. Jeremiah est revenu avec son groupe et il les a arrêtés; dans l’action, une des milices a été tuée parce que les deux groupes se battaient. Cela n’a fait qu’augmenter leur colère et le lendemain, ils sont revenus, cela je m’en souviens très bien. Ma maman balayait devant la maison. Ils l’ont attrapée dans l’allée. Je dormais dans ma chambre donc un interhamwe est entré et il a dit, “Regardez, nous avons laissé un cafard ici.”
Près de moi, il y avait un bébé. Ils l’ont aussitôt frappé contre le mur et il en est mort. Alors, ils nous ont emmenés avec notre mère, mais une de mes soeurs aînées était partie chercher de l’eau et elle était loin de nous. J’étais avec deux de mes frères, l’un qui était au collège et l’autre qui était en CE2 Ils ont déchiré tous les vêtements de ma maman; elle était nue comme un ver puis elle a été violemment battue et après ils ont passé un long bâton dans son vagin et ils l’ont fait passer à travers tout son corps, jusqu’à sa tête.

Pendant qu’ils étaient en train de tuer ma maman, mes frères se sont sauvés parce que l’interhamwe avait fixé toute son attention sur elle. Moi, je sentais que je ne pouvais pas la laisser toute seule. Quand je me suis rendue compte que ma mère était presque morte, je me suis enfuie et un des interhamwe m’a poursuivie. Je me souviens de son nom. Il m’a frappé sur la tête et je me suis évanouie. Le sang coulait de ma tête alors que je gisais à terre dans l’enceinte de notre maison, mais à minuit, j’ai repris un peu connaissance et je suis sortie furtivement pour aller voir le vieil homme à qui mon père avait donné une vache en geste d’affection.
Quand j’y suis arrivée j’ai retrouvé ma soeur qui avait été partie chercher de l’eau. La femme du vieil homme lui a demandé de choisir entre ses propres enfants et nous parce qu’elle a dit, “Si tu les laisses rester et dormir ici, je te quitterai et je m’en irai. Le vieil homme était totalement confus, mais il a décidé de nous amener chez sa deuxième femme.
Nous avons dormi là, mais ma tête était couverte de blessures et ensanglantée, donc ils m’ont rasé les cheveux et ils m’ont soigné avec des médicaments locaux. Le dimanche suivant, nous sommes allés dans un endroit appelé Inyaruvumu, chez une vieille femme de qui nous étions parents et j’étais de nouveau avec mon frère. Un témoin nous a dit que notre père avait été tué à un endroit qui s’appelait Kimonde. Nous sommes restés trois jours à Inyaruvumu, mais plus le temps passait, plus la milice soupçonnait qu’il y avait des enfants qui étaient chez la vieille.

Elle nous a donc séparés pourqu’ils ne puissent pas nous tuer tous à la fois. Elle était Tutsi mais elle leur avait donné cent mille francs et des vaches en plus pour qu’ils les épargnent. Avant de quitter cet endroit, mon cousin est venu et m’a dit, “S’il te plaît, viens et trouve un endroit pour te cacher parce que la milice te tuera, comme elle tuera la vieille dame’; en effet, ils l’avaient lourdement averti. Nous devions partir aussitôt.
A ce moment-là, mon frère n’était pas avec moi parce qu’on nous avait séparés, au moment d’atteindre cet endroit où mon cousin voulait me cacher. Elle m’a dit, “Passe devant la maison parce qu’on ne sait jamais, peut – être que quelqu’un t’appelera pour te cacher.” Heureusement, une Hutu a chuchoté dans ma direction. Donc je me suis approchée d’elle et elle m’a demandé où j’allais. Je lui ai dit que je n’avais nulle part où aller. Elle m’a ensuite dit d’entrer dans sa maison. Elle s’appelait Maria.
J’y suis restée avec ses enfants, mais l’interhamwe pouvait voir s’il y avaient d’autre gens à l’intérieur de la maison. Donc une fois ils sont venus et ils ont dit qu’ ils ne connaissaient pas cette jeune fille. “Est-elle à vous?”- ils ont demandé. La femme leur a dit que j’étais la fille de son frère qui restait à Kigali et que je m’appelais Karara et que je suis venue pour y passer les fêtes.

Et puis ils étaient silencieux. Après deux semaines, le RPF est arrivé à cet endroit et on m’ emmené à un orphelinat à Nyanza. Pendant des années la vie était très difficile. Finalement, J’ai emménagé avec ma cousine, bien qu’elle ne peut pas m’entretenir. Au moins, nous habitons dans la paix et l’harmonie. Ma mère a payé les frais de scolarité de mon parent et il est maintenant riche, mais il ne se rappelle pas de ce fait et je ne me lui intéresse plus. L’homme et la femme qui m’ont cachée, je les aime et normalement je leur rends visite quand j’ai le transport parce qu’ils ont joué un grand rôle pour moi et je me souviens que son fils s’est battu avec moi, mais le père l’a sérieusement battu. Il vit encore et il reste à Gitarama.
(Au sujet de Gacaca) Je n’y assiste pas toujours parce que quand je vois les gens qui ont tué mes parents je deviens traumatisée et je me souviens du temps du génocide. C’est parce que l’interhamwe qui ont tué ma mère et mes frères vivent encore et récemment ils ont été libéré parce qu’ils ont avoué et ils ont admis ce qu’ils ont fait. Quand nous leur avons demandé de nous amener où ils ont tué nos parents et ma mère aussi, ils ont refusé. Mais puisque je connaissais l’endroit, nous avons ramassé leurs os et nous les avons enterré respecteusement. Plus récemment, mon frère a été presque tué par un de ceux-ci qui a été libéré du prison. Simplement parce qu’il lui avait dit de ne pas aller au- délà de la limite de son terrain / propriété L’interhamwe a cherché une binette et il a coupé sa tête. Heureusement, mon frère n’est pas mort. Il a été transporté à toute vitesse à l’hôpital et il a récupéré plus tard. L’interhamwe a été emprisonné et il est mort plus tard.

Sur la question de réconciliation, ce n’est pas facile. Ce que je peux dire c’est qu’on ne peut pas oublier une personne qui a joué le rôle vertueux pour soi aussi bien qu’on ne peut pas oublier l’un qui vous a fait des choses néfastes. A cause de cela, je dis que ce n’est pas facile de s’asseoir et discuter les affaires avec ceux qui ont tué tous ses parents, mais bien-sûr nous ne pouvons pas nous venger parce qu’il faut montrer que nous sommes différents d’eux.
***Note: Sur la façon dont Clara survit maintenant à l’école, elle a dit à Stephen Gatsinzi que les étudiants l’aident normalement à acheter des fournitures scolaires et des vêtements parce qu’elle maintient des relations amicales avec eux. Son vrai nom et les noms des endroits et des individus dans l’histoire ont été ôté à sa demande pour sa propre vie privée et sa sécurité.

Ce web a été créé pour encourager la paix durable au Rwanda, une paix stable qui doit se baser sur l’entente mutuelle, le respect et la confiance entre hutus et tutsis. La plupart de ces pages consisteront de témoignages et de récits décrivant comment les Rwandais ont lutté pour sauver d’autres du mal monstrueux. Il sera géré par Paul Conway, Professeur des Sciences Politiques au State University College de New York Oneonta, Stephen Gatsinzi et Edmond Murenzi à Kigali.

Mahmood Mamdani a suggéré que la plupart des Rwandais aujourd’hui devraient être considérés comme survivants, car ayant endurés d’énormes souffrances dans des tueries de masse et des injustices du passé.* Beaucoup ont souffert cruellement de crimes qui ne devraient jamais être oubliés. Certainement, tous ceux qui ont commis des crimes violents comme le massacre et le viol devraient être punis. Les histoires ci-dessous sont la preuve que malgré la participation large et considérable des hutus dans le génocide de 1994, il y a parmi eux ceux qui ont refusé de coopérer dans les tueries et les atrocités. Ceux qui ont activement résisté sont une minorité, mais d’autres ont essayé de sauver les tutsis et ont risqué leur propre vie en le faisant. Beaucoup de ces individus héroïques ont été tués. Ceci doit être reconnu pour encourager la réconciliation. **

Les témoignages de sauvetage viennent d’une variété de sources publiées ou inédites y compris les interviews menées en 2007. En plus de témoignages de sauveteurs, vous trouverez ci-dessous un certain nombre d’essai et d’études qui reflètent les forces et les faiblesses des efforts de réconciliation. Il n’y a pas de suggestion que les étrangers connaissent ou peuvent dire aux Rwandais comment poursuivre le chemin difficile vers un futur prometteur et pacifique. Ceci ils le décideront comme citoyen d’une nation fière et indépendante.

* En conclusion de son analyse intitulée « When Victims Become Killers », (Princeton University Press, 2001) Mamdani souligne que les racines historiques du génocide remonte aux réformes de Rwabugiri à la fin du siècle précédent et des réformes coloniales subséquentes à partir de 1926-36 qui ont racialisé l’identité tutsie et ont durci le privilège tutsi. Il y a eu des tueries de masses qui ont causé la fuite des tutsis vers les pays limitrophes après l’accession du Rwanda à l’indépendance en 1962. Il y a eu aussi des tueries de masses des hutus au Burundi dans les années 1970. Etant donné ce passé, le génocide subséquent en 1994 doit être entendu dans le contexte de la guerre civile rwandaise qui a été façonné par des dynamiques régionaux comme la persécution des tutsis en Uganda, ceux-ci étaient sous une grande pression de quitter avant l’invasion du FPR en 1990 contre le régime de Habyarimana.

** Le terme réconciliation se réfère ici aux efforts informels aussi bien formels pour promouvoir la justice, la tolérance et l’entente pour créer une paix stable et durable.